Sur la liste rouge de l’UICN, un oiseau affiche un statut critique malgré des décennies de programmes de protection. Incapable de voler, doté d’un poids record pour un perroquet, il défie les standards évolutifs de son ordre. Contrairement à la quasi-totalité de ses congénères, il adopte un mode de vie nocturne et terrestre.
Longtemps classé parmi les espèces disparues, il n’a survécu qu’en quelques poches isolées, sous surveillance stricte et intervention humaine permanente. Les tentatives de réintroduction s’accompagnent d’une course contre les maladies et la consanguinité.
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Le kakapo, un oiseau nocturne hors du commun
Le kākāpō, que l’on surnomme le perroquet nocturne ou perroquet-hibou, incarne l’extravagance zoologique sur les terres de Nouvelle-Zélande, ou Aotearoa pour les Māoris. Difficile de passer à côté de sa prestance : c’est le plus grand perroquet vivant, avec une masse qui défie la gravité, et le seul de son genre à s’être affranchi du vol. Recouvert d’un plumage vert mousse, trapu et discret, il se faufile dans la pénombre des forêts humides, là où l’œil humain ne s’attarde pas. Contrairement à la plupart de ses cousins psittacidés, le kākāpō navigue la nuit, guidé par un odorat acéré, ce qui reste exceptionnel chez les oiseaux.
Quelques faits saillants permettent de mieux cerner cette espèce unique :
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- Présent uniquement en Nouvelle-Zélande, le kākāpō s’est développé sans aucun prédateur terrestre jusqu’à l’arrivée des Européens.
- Il n’est pas rare de croiser des individus qui ont franchi la barre des soixante ans.
- Pour les Māoris, il est bien plus qu’un oiseau : c’est un trésor national (taonga), porteur d’un héritage vivant en péril.
Sa réputation s’est construite autour de quelques représentants célèbres, comme Sirocco, devenu la vedette d’une Nouvelle-Zélande soucieuse de sa faune. Les forêts de rimu, arbres indigènes emblématiques, dictent son existence : sans leurs fruits, la reproduction du kākāpō s’arrête net. Sa situation est à la fois fascinante et préoccupante : on compte moins de 250 oiseaux sauvages, chacun suivi individuellement, protégé sur des îlots sanctuaires et placé sous l’œil attentif des chercheurs, des gardiens et des communautés māories.
Pourquoi le plus lourd perroquet du monde ne vole-t-il pas ?
Impossible de parler du kākāpō sans évoquer son incroyable paradoxe. Cet oiseau massif, le plus lourd de tous les perroquets, n’a tout simplement plus la capacité de s’envoler. Cette particularité s’explique par des millénaires d’évolution sur un territoire vierge de tout prédateur terrestre, où le vol n’avait plus d’utilité. Progressivement, sur les pentes boisées des deux îles principales, son corps s’est alourdi, ses ailes se sont raccourcies. À présent, il peut dépasser les quatre kilos et ne répond plus aux critères du ciel.
Loin d’être cloué au sol, le kākāpō a développé des talents inattendus. Il se déplace surtout en marchant, grimpe avec agilité le long des troncs, puis dévale les pentes en profitant de la densité de son plumage pour amortir les chutes. La nuit, il se nourrit, privilégiant les feuilles, bourgeons, baies et surtout les fruits de rimu, dont dépend aussi la reproduction. Puisque ces fruits ne sont pas toujours disponibles, les femelles n’élèvent des petits que tous les deux à quatre ans.
Quelques points permettent de mieux comprendre la situation du kākāpō aujourd’hui :
- Environ 247 individus sauvages sont recensés et suivis en Nouvelle-Zélande.
- La reproduction suit le système du lek : les mâles creusent des cuvettes et produisent un « boum » profond pour attirer les femelles.
- Certains kākāpōs dépassent les 60 ans.
Le renoncement au vol n’a rien d’un handicap ici ; il reflète une trajectoire évolutive singulière, sculptée par l’isolement et la forêt tempérée. L’étude de son quotidien met en lumière l’extrême fragilité de son équilibre, compromis depuis l’arrivée de prédateurs et la réduction de son habitat naturel.
Des comportements fascinants, entre mystère et maladresse
Le kākāpō multiplie les singularités qui intriguent les scientifiques autant que le grand public. Sur les îles sanctuaires, chaque oiseau fait l’objet d’une attention constante : rangers et bénévoles se relaient pour surveiller nuit après nuit ces oiseaux dont l’avenir se joue à chaque couvée. Chacun porte un transmetteur radio, glissé autour du cou, qui permet de surveiller discrètement ses déplacements et ses habitudes. Mais même sous cette surveillance, le kākāpō conserve un goût pour l’imprévu.
Ce perroquet nocturne séduit par ses maladresses. Sur le sol, ses déplacements sont lents, presque hésitants. Il grimpe dans les arbres, saute, retombe dans la mousse, parfois sans la moindre élégance. Sa parade nuptiale, le fameux lek, rassemble les mâles dans des arènes naturelles où ils creusent des entonnoirs et tambourinent la terre d’un « boum » sourd, audible à plusieurs kilomètres. Les femelles, elles, circulent d’arène en arène, attentive au timbre le plus profond.
Le kākāpō n’a pas manqué d’attirer l’attention des médias. Sirocco, l’un des spécimens les plus connus, est devenu une véritable mascotte après avoir tenté de s’accoupler avec un zoologue devant les caméras de la BBC. Ce moment insolite a propulsé le kākāpō sur le devant de la scène internationale. Derrière l’humour de la situation, il y a la réalité d’une espèce dont la survie dépend presque entièrement de la vigilance humaine, mais dont chaque comportement conserve une authenticité déconcertante.
Survivre face à l’extinction : les défis actuels du kakapo
Avec une population qui ne dépasse pas 247 individus à l’état sauvage, le kākāpō reste sous haute surveillance. Tous sont suivis par le Kākāpō Recovery Programme, piloté par le Département de la conservation (DOC) néo-zélandais. Ces perroquets vivent sur quelques îles sanctuaires, Whenua Hou, Anchor Island, Maungatautari,, éloignées des prédateurs introduits qui ont fait des ravages ailleurs sur l’archipel.
Pour comprendre ce qui met l’espèce en péril, il suffit de regarder les principaux obstacles auxquels le kākāpō doit faire face aujourd’hui :
- Chats, chiens, rats, fouines, furets : ces mammifères importés ont bouleversé l’environnement d’Aotearoa. Le kākāpō, privé de son principal atout, le vol,, n’a aucune parade face à ces nouvelles menaces.
- La consanguinité et la faible diversité génétique fragilisent la population. Pour tenter d’y remédier, les équipes de conservation emploient la reproduction assistée, la sélection génétique et l’incubation artificielle des œufs.
Les Māoris, notamment les iwi Ngāi Tahu et Ngāti Korokī Kahukura, sont engagés aux côtés des scientifiques et des bénévoles. Leur implication donne au combat pour la survie du kākāpō une dimension culturelle et politique forte. Sur le terrain, chaque éclosion mobilise : surveillance des nids, transferts d’œufs dans des incubateurs, suivi individualisé grâce aux radio-transmetteurs. La protection de la biodiversité en Nouvelle-Zélande s’incarne dans la ténacité du kākāpō, symbole d’un écosystème sous pression et d’une société qui refuse d’abandonner l’un de ses plus vieux compagnons de forêt.
Face à la nuit, le kākāpō continue de défier les statistiques, porteur d’un héritage vivant. Tant que résonne, quelque part sur une île, le « boum » sourd d’un mâle à la recherche d’une partenaire, l’histoire du perroquet-hibou reste inachevée.