Les catalogues de meubles de 1937 ne mentent pas. La production s’aligne, s’affine, s’épure : l’ère industrielle impose ses propres codes et relègue l’ornement au second plan. Au fil des pages, la rigueur s’installe. En 1945, l’Institut d’esthétique industrielle tranche : le temps des motifs géométriques sophistiqués touche à sa fin, place aux surfaces lisses, presque anonymes.
Les matériaux bruts prennent leur revanche, la fonction devient la boussole. Pourtant, derrière cette révolution tranquille, quelques créateurs glissent des clins d’œil, des citations discrètes, préservant le souvenir de la période précédente grâce à des détails savamment dosés.
L’Art déco, un style emblématique du XXe siècle
L’après-Première Guerre mondiale voit surgir l’Art déco, qui tranche net avec les volutes de l’Art nouveau. Né en France, ce mouvement mêle ambition esthétique et souci du pratique. Paris s’impose comme l’atelier de cette modernité élégante, révélée au grand public lors de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925. Sur les quais de la Seine, le style s’impose, franchit les frontières, et s’érige en référence mondiale.
L’Art déco se reconnaît à sa géométrie affirmée, à ses matériaux raffinés, à l’attention portée à la lumière qui façonne les textures. Des figures comme Robert Mallet-Stevens, André Groult, Jacques-Émile Ruhlmann, Eileen Gray, Jean-Michel Frank ou Paul Iribe redessinent l’espace et les objets au rythme effréné des années folles. Ils travaillent l’ébène, la laque, le galuchat, le chrome, le marbre, des signatures d’un âge d’or du décor français.
Pour mieux situer l’Art déco, voici les grands repères qui structurent son histoire :
- Art Déco émerge juste après l’Art Nouveau.
- Son influence culmine dans les années 1920-1930.
- L’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925 à Paris en fait une référence mondiale.
Il faudra attendre 1966 et le travail de l’historienne Yvonne Brunhammer pour que le terme « art déco » entre dans le langage courant, à l’occasion d’une exposition qui fait date. Longtemps dans l’ombre du modernisme ou de ses prédécesseurs, ce courant a pourtant nourri l’imaginaire collectif, porté par une société en quête de nouveauté et d’un luxe maîtrisé. Chaque pièce, chaque façade, chaque trait témoigne d’une volonté partagée : affirmer la modernité, tout en restant fidèle à l’exigence artisanale et au choix des matériaux.
Qu’est-ce qui distingue vraiment l’Art déco dans la décoration ?
L’Art déco s’impose par une identité visuelle immédiatement reconnaissable. Les lignes nettes, géométriques, se retrouvent dans l’architecture comme dans l’ameublement. Leur austérité est compensée par des motifs stylisés forts : chevrons, zigzags, soleils, éventails. Rien n’est laissé au hasard. Le style puise aussi bien dans l’Antiquité que dans l’art africain et asiatique, sans oublier les influences du cubisme et du fauvisme, jusqu’au souffle de la révolution industrielle.
Dans l’aménagement intérieur, la palette affiche ses couleurs sans pudeur : noir, ivoire, or, vert émeraude, bleu paon. Le choix des matériaux, ébène, laque, marbre, chrome, galuchat, verre, traduit un goût prononcé pour l’opulence maîtrisée et la rigueur technique. La symétrie structure l’ensemble, donnant de l’ampleur et de la force à chaque pièce.
Les codes de l’Art déco se retrouvent autour de quelques principes phares :
- Lignes épurées et volumes ordonnés dominent le mobilier.
- Matériaux haut de gamme et finitions irréprochables sont de mise.
- Motifs stylisés : spirales, soleils, animaux ou fleurs, systématiquement géométrisés.
Le génie des artisans et designers de l’époque, c’est d’avoir su conjuguer l’héritage du mobilier d’art avec les innovations de leur temps. L’Art déco s’impose ainsi comme un trait d’union entre tradition et modernité, insufflant une âme singulière à chaque réalisation.
Quand l’Art déco cède la place : quelles tendances lui ont succédé ?
À la fin de l’âge d’or de l’Art déco, le paysage créatif européen se transforme. La Seconde Guerre mondiale rebat les cartes. Fini les démonstrations de richesse, fini le faste des matières nobles : de nouveaux impératifs dictent la marche à suivre. Le modernisme s’impose comme le nouveau credo, où la fonction prend le pas sur la forme.
Architectes et designers s’orientent vers la simplicité, la praticité, l’utile. L’idée de rendre le beau accessible à tous remplace l’exclusivité du luxe. Le courant du Bauhaus irrigue la scène créative, apportant son lot de matériaux industriels, métal, verre, béton, qui deviennent la norme. Le mobilier gagne en légèreté, en mobilité, en prix abordable. Les couleurs s’adoucissent, la décoration se fait discrète pour mieux mettre en valeur l’ossature des lieux.
Pour cerner cette évolution, trois points s’imposent :
- Le fonctionnalisme du modernisme prend le dessus sur les décors hérités de l’Art déco.
- La production à grande échelle démocratise les objets du quotidien.
- Une volonté de transformation sociale anime les créateurs de l’après-guerre.
L’Art déco, parfois jugé trop formel, ne disparaît pas pour autant. Il continue d’inspirer les créateurs, les amateurs de design, les collectionneurs. Mais désormais, le mot d’ordre est sobriété, efficacité, attention à l’impact sociétal. La ligne droite, le volume simple, l’absence d’ornement deviennent des marqueurs forts d’une époque qui se reconstruit et regarde vers l’avenir avec détermination.
Adopter l’esprit Art déco chez soi aujourd’hui : inspirations et conseils
L’Art déco n’a rien d’un vestige poussiéreux : le style continue de nourrir l’univers du design intérieur. À Paris, certains hôtels comme le Mandarin Oriental Lutetia, le Prince de Galles ou l’Hôtel du Collectionneur perpétuent cet héritage vivant. On y retrouve les incontournables : lignes graphiques, motifs répétés, matériaux nobles comme le laiton, le marbre ou le galuchat.
Pour faire entrer cette esthétique chez soi, jouez avec une palette de couleurs affirmée : bleu paon, vert émeraude, or, noir profond. Les contrastes sont de mise, mais la surcharge est bannie. Misez sur des meubles aux lignes nettes, inspirés des créations de Jean-Michel Frank ou André Groult. La symétrie donne le ton, les luminaires à la René Lalique révèlent l’espace.
Voici quelques pistes pour installer l’esprit Art déco dans votre décoration :
- Privilégiez les textiles riches : velours, soie, tapis à motifs géométriques.
- Mariez objets anciens chinés et créations contemporaines inspirées des grands noms de l’Art déco.
- Mettez en avant une pièce forte, miroir à facettes, vase travaillé, affiche d’époque, plutôt que de tout accumuler.
La France reste un terrain fertile pour l’Art déco : Lille, Saint-Quentin, la Coupole, la piscine Molitor, autant de lieux où le patrimoine inspire des réinterprétations. Les expositions du Musée des Arts Décoratifs et les créations de designers comme Jean-Michel Wilmotte montrent que le dialogue entre passé et présent continue de stimuler la création. L’Art déco n’a pas fini de réinventer nos intérieurs : il suffit d’un détail bien choisi pour que l’esprit des années folles s’invite dans le quotidien.


